Vous l’avez sans doute remarqué : la vie politique française traverse actuellement une crise comme elle n’en a jamais connu sous la Ve République. Promulguée en 1958, la Constitution avait instauré un exécutif fort et un Parlement rationalisé, une rupture avec l’instabilité des régimes précédents. En 2025, ses principes fondateurs restent encore en vigueur, mais son fonctionnement est régulièrement questionné, notamment en raison de la concentration des pouvoirs et des déséquilibres institutionnels.
Le président de la République, élu au suffrage universel direct depuis 1962, dispose en effet de pouvoirs étendus : dissolution de l’Assemblée nationale, recours au référendum et pouvoirs exceptionnels (article 16). Cependant, son rôle est de plus en plus critiqué pour son hyper-présidentialisation, surtout en période de majorité parlementaire introuvable comme c’est le cas à l’heure actuelle. Et aussi parce que le bouleversement du calendrier électoral décidé sous Jacques Chirac après référendum en septembre 2000 a involontairement fait dérailler le système en exposant davantage la fonction présidentielle avec un président élu pour cinq ans au lieu de sept et des élections législatives juste après la présidentielle.
Comme nombre de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron a utilisé des outils constitutionnels controversés. En particulier l’article 49-3 de la Constitution considéré comme un passage en force, voire anti-démocratique (notamment pour la réforme des retraites en 2023) ainsi que la dissolution de l’Assemblée nationale décrétée en juin 2024, juste après l’échec aux élections européennes (14,6% des voix), un geste incompréhensible pour la totalité des Français. Résultat : la France est devenue ingouvernable.
Traditionnellement coupée en deux avec une droite conservatrice, adepte d’une certaine rigueur budgétaire et plutôt pro-business et une gauche progressiste, prônant la justice sociale et la défense des classes défavorisées, le pays vit désormais sous un modèle éclaté en trois avec deux partis extrêmes et souverainistes : la LFI (La France Insoumise) de Jean-Luc Mélenchon et le RN (Rassemblement National) de Marine Le Pen qui ne feront jamais alliance sur les sujets majeurs et un « front républicain » composé de différents courants (LR, Renaissance, Modem, PS) qui ne s’entendent que sur un seul point : faire barrage aux deux autres forces adverses (126 députés RN, 71 députés LFI sur 577 sièges à l’Assemblée).
Par son geste jugé suicidaire de juin 2024, y compris par son propre camp, Emmanuel Macron a plongé le pays dans un marasme dont il ne semble plus en mesure de s’extirper. La preuve : depuis juin 2024, le chef de l’Exécutif a déjà « usé » quatre Premier ministres, le poste le plus exposé de la Constitution puisque soumis à un vote de défiance de l’Assemblée nationale lorsqu’il engage la responsabilité de son gouvernement. Devenue de plus en plus hostile au macronisme depuis les élections législatives de juillet 2024, l’Assemblée ne s’est pas privée de contraindre les locataires successifs de Matignon (la résidence des Premier ministres) à la démission.
Exit donc Gabriel Attal (débarqué après 190 jours suite à la dissolution), le républicain Michel Barnier (91 jours), le centriste François Bayrou (271 jours) et le macroniste Sébastien Lecornu (27 jours), reconduit dans ses fonctions vendredi dernier, mais dont les jours semblent néanmoins comptés, à moins d’un miracle politique. Pour ce qui est considéré comme une mission de la dernière chance, l’ancien ministre des Armées a composé un gouvernement de 19 ministres et 15 ministres délégués issus du « bloc central » à l’exception des Républicains de Bruno Retailleau qui ont exclu de leur parti les « dissidents » qui ont bravé les consignes et accepté quand même un ministère. À l’arrivée, impossible de savoir combien de temps ce gouvernement Lecornu 2 peut tenir, car il reste à la merci d’une motion de censure qui peut intervenir à tout moment. Si tel était le cas, il resterait encore trois options à Emmanuel Macron : nommer un Premier ministre de gauche, dissoudre à nouveau l’Assemblée ou organiser un référendum en mettant sa démission dans la balance, solution qui semble exclue pour le moment.
Christophe Carmarans
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