Fondée en 1995 dans les Alpes-Maritimes, l’agence immobilière à vocation sociale AGIS 06 a développé depuis juin 2022 un service entièrement dédié aux Ukrainiens qui emploie quatre personnes à plein temps. La coordinatrice du service, Fanny Bender, dresse le bilan pour France Ukraine News après un an d’existence.
Fanny, expliquez-nous quel type d’action mène Agis 06 et pourquoi elle s’est positionnée sur les réfugiés Ukrainiens ?
Agis 06 est une association qui a été créée en 1995 pour aider les personnes en précarité à se loger plus facilement. C’est ouvert à tous les publics. Quand la guerre en Ukraine a débuté, on s’est positionnés auprès de la Direction Départementale de l’Emploi du Travail et des Solidarités (DDETS) en tant que « opérateur INL ».
C’est à dire?
C’est-à-dire qu’on fait ce que l’on appelle de « l’intermédiation locative ». On va chercher, dans le parc privé, des propriétaires qui acceptent de confier leur logement à notre association, laquelle est locataire en titre de l’appartement. En contrepartie, on garantit au propriétaire le paiement du loyer. Et on s’occupe de loger une famille en difficulté qui va être sous-locataire du logement pour un bail temporaire de dix-huit mois. Pour l’Ukraine, c’est un peu différent : c’est seulement douze mois. Mais l’idée reste la même : faire un bail de sous-location temporaire. Notre rôle c’est d’accompagner la famille dans le cadre du logement et de s’assurer que tout se passe bien.
Et ensuite?
Ensuite, l’objectif c’est obtenir ce que l’on appelle un glissement de bail avec le propriétaire privé, si on y arrive. Et si on n’y arrive pas, c’est d’aider la famille à continuer ses démarches de relogement, de renouveler sa demande logement social chaque année, de faire d’autres démarches type « Action logement » et de voir s’ils peuvent se reloger par leurs propres moyens.
C’est quoi un « glissement de bail » exactement…
Un glissement de bail cela veut dire que l’on va continuer à faire de la gérance locative, mais que l’on ne va plus être, nous, les locataires en titre du logement. C’est la famille qui va le devenir sur un bail habituel 3- 6-9 ans classique, encadré par la loi de juillet 1989. Que ce soient des déplacés ukrainiens ou pas, avec notre association on peut accompagner le propriétaire privé à conventionner son logement par l’ANAH (Agence Nationale de l’Amélioration de l’Habitat). On peut l‘aider à monter un dossier pour conventionner son logement. C’est à dire qu’il peut avoir des aides pour faire des travaux par exemple. Il peut aussi décider de se conventionner sans faire de travaux, mais il va s’engager à mettre son logement avec un loyer qui sera défini par un certain plafond. En contrepartie il peut avoir des avantages fiscaux…
Cela reste de toutes façons du temporaire…
Oui ce n’est que du temporaire. Mais avec l’objectif de glisser vers « un logement définitif » entre guillemets parce qu’avec un propriétaire privé, on n’est pas à l’abri : il peut un jour décider de vendre ou décider de récupérer son logement.
Comment s’organise votre service pour les Ukrainiens ?
Notre structure compte quatre personnes : moi-même qui suis chargée de la coordination, ce qui devrait représenter 50% de mon temps, Céline Boyer, l’assistante sociale, qui s’occupe de toute la partie administrative et d’établir un diagnostic, avec notre interprète, Nadia. Nadia est là quatre jours par semaine. Elle s’occupe aussi de la signature des baux car, évidemment, c’est plus facile quand c’est traduit en ukrainien. Toutes les familles ont son numéro de téléphone et dès qu’il y a un courrier ou autre problème, c’est à elle qu’ils s’adressent. C’est Nadia qui s’occupe de ça ou qui fait le lien. Et puis nous avons également un agent de gestion locative, Julie. Elle s’occupe de tous les états des lieux avec les propriétaires, de récupérer les clefs, les problèmes techniques, les travaux s’il y en a, etc.
Comment êtes-vous financés ?
Nous sommes financés par la Direction Départementale de l’Emploi du Travail et des Solidarités (DDETS) et un peu par le Conseil Général du département. Je précise que ce que nous a demandé l’État, c’est bien entendu de ne pas aller prendre des logements sociaux existants car on est déjà dans un département qui est saturé en termes de demandes de logements. L’idée c’est donc d’aller « capter » des propriétaires qui veulent bien mettre leur logement à disposition des déplacés ukrainiens. On préfère d’ailleurs employer ce terme de « déplacés » plutôt que celui de « réfugiés ». On a quand même fait des petites choses spéciales pour les propriétaires comme par exemple ne pas leur appliquer de frais de gestion car, normalement, le propriétaire paie 7% de frais de gestion par an. On a fait aussi des baux un petit peu plus courts : douze mois au lieu de dix-huit.
L’un des problèmes, c’est que les déplacés pensaient retourner assez vite dans leur pays et ce n’est manifestement pas le cas, au regard de la situation actuelle…
C’est vrai qu’on est confronté à ce statut particulier des déplacés ukrainiens : au début on pensait sur de courtes périodes, on s’était dit « très bien, les propriétaires vont mettre à disposition leur appartement quelques mois, puis ça va se terminer, ils vont rentrer dans leur pays ». Mais en fait, on en est plus du tout là aujourd’hui. Ça perdure… On a des familles avec des adultes qui travaillent en CDI, mais qui n’ont que des autorisations provisoires de séjour de six mois. Donc on est un peu coincés avec ce statut d’APS (Autorisation Provisoire de Séjour). Mais pour l’instant, ça se passe bien. Les relogements que l’on a faits, il se maintiennent.
À quand remontent les premiers relogements ?
Le premiers relogements, on les a faits fin juin de l’année dernière (Ndlr : 2022), Donc on arrive aux premiers « 1 an ». Mais on n’a pas eu de propriétaires qui nous aient fait part de leur souhait de reprendre leur appartement au bout de 1 an. On en a juste un qui veut vendre son appartement alors on est obligés de retravailler le projet de la famille. Donc pour l’instant, on maintient tout comme ça. On n’envisage pas encore de faire un glissement de bail, on laisse les choses se faire.
Quelles sont vos principales contraintes ?
Notre principale obligation, c’est de vérifier que la personne qui devient sous-locataire du logement dispose bien d’un revenu fiscal de référence qui correspond au plafond du loyer. Il y a trois niveaux : le très social, le social, et l’intermédiaire.
Comment trouvez-vous des bailleurs ?
Nous avons cinq prospecteurs. Leur travail, c’est d’aller chercher des propriétaires privés et de les aider dans le montage des dossiers. L’un de nos prospecteurs est là depuis plus de dix ans, donc il s’est fait un tissu relationnel important. Il reçoit directement des appels de propriétaires qui ont entendu parler de notre association par d’autres propriétaires de leur copropriété, donc principalement par le bouche-à-oreille. Les prospecteurs qui sont là depuis moins longtemps regardent des sites comme Le Bon Coin (Ndlr :site de petites annonces gratuites) et les sites internet d’immobilier. Ils marchent aussi beaucoup, prospectent dans la rue et distribuent des prospectus. C’est comme ça qu’on explique ce que l’on fait, ce que l’on peut proposer. Et, au final, on a des propriétaires qui acceptent. Nous avons aussi fait une campagne de communication avec plusieurs fois une pleine page dans le quotidien Nice-Matin que nous avons payée. Je crois que ça a porté ses fruits pour attirer des propriétaires. Et cela a fait parler de l’association.
Quels sont les documents requis pour faire une demande de logement auprès de votre association ?
Il faut nous présenter les documents suivants : l’autorisation provisoire de séjour (APS), le passeport, des justificatifs de revenus et les pièces d’identité de l’ensemble des membres de la famille. C’est à peu près tout. Mais, encore une fois, nous ne pouvons pas accueillir des gens qui viennent juste d’arriver et n’ont pas d’emploi. Ceux-là doivent d’abord être pris en charge par d’autres centres d’accueil. Donc ceux qui viennent d’arriver, il faut qu’ils aillent plutôt au Hub de Nice par exemple, mais pas chez nous.
Votre zone d’action ne se situe que sur le département des Alpes-Maritimes…
Oui, mais la demande est plus concentrée sur le littoral, entre Nice et Cannes pour les trois-quarts, ne serait-ce que pour des raisons d’accès à l’emploi. C’est là où on a le plus de logements. Mais on travaille aussi sur Grasse par exemple. Au total on a réalisé à ce jour 126 relogements qui correspondent à 344 personnes. C’est beaucoup et peu à la fois. Je trouve que c’est peu quand on sait que, sur notre département, il y a à peu près 9 000 à 10 000 personnes venues d’Ukraine à l’heure actuelle. Certes, à grande échelle, ce n’est qu’une petite goutte d’eau, mais on est quand même contents d’avoir fait ce chiffre-là. En ce moment, on a encore une petite dizaine de relogements en cours donc ça continue. J’espère que ça va continuer aussi longtemps qu’il y aura un besoin.
Est-ce que vous avez une idée du nombre d’Ukrainiens qui continuent d’arriver sur la région à l’heure actuelle ?
Pour ce qui est de l’afflux, je ne peux pas trop vous répondre car, encore une fois, nous ne nous occupons de reloger que les Ukrainiens qui ont un revenu stable. Mais toute la communauté est au courant que nous existons, car ils communiquent beaucoup entre eux sur les réseaux sociaux. On a parfois des gens qui viennent toquer à la porte et qui nous disent « Bonjour, j’ai un contrat de travail, est-ce que vous pouvez m’aider ? ». Notre statut limite le tout-venant, contrairement à l’été dernier où ça n’arrêtait pas. Ça toquait à la porte toute la journée avec des gens qui nous disaient : « Est-ce que vous pouvez m’aider, je suis à la rue ce soir ? ». C’était très compliqué à gérer, à la fois humainement et sur le plan logistique… Maintenant, on n’a plus ça. On a des personnes qui sont déjà dans le département, qui travaillent et on voit immédiatement si on peut les prendre ou pas.
Quel est le profil des Ukrainiens que vous relogez ?
Principalement des femmes avec enfants. Mais il y a aussi des hommes, Les pères de plus de trois enfants par exemple qui ont le droit de quitter le pays plutôt que de combattre. Les pères d’enfants handicapés aussi et bien sûr des hommes qui ont eux-mêmes un problème de santé ou de handicap. Mais le profil typique, c’est la femme seule avec les enfants. Et, de temps en temps, les grands parents qui, eux, ne travaillent pas mais gèrent en général les enfants au quotidien. On en a d’ailleurs quelques-uns qui touchent une petite retraite d’Ukraine et qui ont accepté d’aller vivre dans l’arrière-pays niçois où les loyers sont moins chers. Certains bénéficient de tout petits loyers qui sont pratiquement couverts à 100% par l’aide au logement. Mais pour plus de 95% de nos déplacés, il y a au moins un salaire dans la famille logée. Ce n’est d’ailleurs pas toujours un emploi en France. On accepte aussi des personnes qui continuent de travailler à distance avec l’Ukraine. Autrement, beaucoup travaillent dans le secteur de l’hôtellerie-restauration. Il y a la barrière de la langue mais quand les consignes sont simples et qu’elles sont bien comprises, ça va assez vite, en fait.
Vous n’avez rencontré aucun problème pour le moment ?
J’avais des craintes au début, mais tout se passe bien ! On a eu deux ou trois impayés, mais ce n’était pas de la mauvaise foi, c’était dû surtout à leur statut avec des délais administratifs qui sont longs à régulariser telle ou telle situation, comme des ruptures d’allocation qui font qu’ils ne peuvent pas payer. Mais on est sur une population qui est très agréable, avec laquelle on travaille très bien, qui est très reconnaissante et qui paye. On est agréablement surpris par leur résilience !
Quel est l’écart entre la demande et l’offre de logements ?
On a en ce moment une bonne cinquantaine de familles en attente parce qu’on n’a pas le logement dont ils ont besoin, à l’endroit où ils en ont besoin. Nos besoins se situent essentiellement entre Nice et Cannes pour des logements de type T2 ou T3 avec des loyers plus bas que le parc privé et plus bas que ce que l’on peut trouver dans des agences immobilières classiques. On est en moyenne sur des loyers de l’ordre de 500-550 euros mensuels pour un T2.
Une belle histoire à nous raconter pour terminer cet entretien ?
La belle histoire, c’est celle de nos premiers relogés. Il s’agissait d’un couple, la dame était très enceinte. On s’est dépêchés de faire le bail car on savait que le bébé allait naître. On a signé le bail et le bébé est né trois jours après ! La maman a donc pu vivre ses premiers moments avec son bébé dans son nouveau logement. Elle était soulagée et nous aussi. Le bébé s’appelle Miron.
Christophe Carmarans pour France Ukraine News
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