Alain Régnier, Préfet, Délégué interministériel chargé de l’accueil et de l’intégration des réfugiés
Souvenez-vous du 24 février 2022… Comment avez-vous appris le début de la guerre en Ukraine ? Comment se sont déroulés les premières heures et les premiers jours ? Et comment l’État et le DIAIR ont-ils agi ?
La guerre a été pour tous une surprise. En dépit des prémisses, nous ne pensions pas que Vladimir Poutine passerait à l’acte. Cela étant, dès le début du conflit et l’avancée de l’armée russe, qui a occasionné les premiers déplacements de citoyens ukrainiens, le gouvernement a mis en place une cellule interministérielle de crise (CIC) hébergée au sein du ministère de l’intérieur. Cette cellule a permis de mobiliser l’ensemble des services de l’État pour accueillir au mieux les personnes ukrainiennes arrivant en France et faire face à l’urgence en matière de logement, de santé, d’accès aux droits ou de scolarisation des enfants. De son côté, la DIAIR a piloté la création du site « Pour l’Ukraine », afin de répondre à double besoin d’information des personnes ukrainiennes d’une part, et d’engagement de la société civile, notamment les entreprises et les citoyens, d’autre part. Les pouvoirs publics ont depuis poursuivi leurs efforts à destination des personnes déplacées d’Ukraine pour favoriser le meilleur accueil et continuité de leur vie possible.
Quels étaient les objectifs du DIAIR à sa création en 2018 ?
La DIAIR a été créée en 2018 pour porter et animer la stratégie nationale d’accueil et d’intégration des réfugiés, adoptée à la suite du comité interministériel à l’intégration de 2018. L’objectif était d’abord de renforcer la coordination entre les services de l’État et les autres acteurs, comme les collectivités locales ou les associations, car la politique d’intégration implique des écosystèmes très différents, publics comme privés. D’autre part, l’objectif de la DIAIR était de permettre d’innover et proposer des solutions innovantes, notamment numériques, à l’image de l’application Réfugiés.info ou de l’Académie pour la participation des personnes réfugiées.
Dans quelles proportions ces objectifs ont évolué depuis 2018 et quelles sont les actions réalisées en 2024 par le DIAIR ?
Les objectifs sont restés les mêmes depuis le lancement de la stratégie nationale adoptée il y a maintenant 6 ans : améliorer les conditions d’intégration des réfugiés qui arrivent en France, en travaillant aux enjeux majeurs qui se font jour lors de leur arrivée comme le logement, l’emploi ou la langue. En revanche, l’approche a évolué avec une volonté de plus en plus marquée d’impliquer les acteurs de droit commun, que ce soit les entreprises, les bailleurs sociaux, et les divers services publics habituellement en charge de l’accompagnement social. L’intégration comporte des enjeux importants qui nécessitent le concours de l’ensemble des forces vives du pays et nous nous attachons à coordonner les efforts pour répondre au mieux aux besoins des personnes réfugiées. Pour vous donner un exemple, faciliter l’insertion professionnelle nécessite l’implication des réseaux d’acteurs économiques comme les groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ), les réseaux d’entreprises engagées comme la Fondation agir contre l’exclusion (FACE) ou Les entreprises s’engagent. Il en va de même pour le logement avec les bailleurs sociaux et les associations qui portent des dispositifs innovants comme les solutions de colocation solidaires.
Quelles sont vos principales difficultés et vos principaux besoins ?
Les principales difficultés que nous rencontrons n’ont, là encore, pas beaucoup changé. Cependant, les choses s’améliorent sur certains aspects, en particulier sur l’emploi, avec la prise de conscience par les employeurs de la nécessité de s’intéresser à ce public pour répondre à leurs besoins de recrutement. En revanche, sur d’autres freins à l’intégration comme le logement ou la garde d’enfants, les choses demeurent très compliquées pour les personnes réfugiées, comme pour le reste de la population du reste. Par ailleurs, les crispations sur la question migratoire nécessitent, plus que jamais, que nous puissions changer le regard sur les exilés : inutile de préciser que le climat politique actuel ne nous aide guère. Face à ça, et dans un contexte budgétaire contraint, nous recherchons une efficacité accrue pour que les personnes réfugiées accèdent aux dispositifs de droit commun. Il faut pour cela impliquer davantage les acteurs privés dans les dispositifs d’intégration et c’est pourquoi je viens de signer une convention avec le réseau Les entreprises s’engagent : j’espère ainsi pouvoir contribuer à un changement d’échelle dans l’engagement des acteurs économiques en faveur des personnes réfugiées.
Il y a deux ans, nous étions dans une situation d’urgence, l’action de l’UE et de la France ainsi que le statut de protection temporaire ont été une réponse à cette urgence. Deux ans plus tard, la situation n’est plus une urgence, mais certaines questions restent dans cette logique. Comment y remédier ?
Par exemple :
1. L’impossibilité de délivrer des DCEM aux enfants dont les parents bénéficient d’une protection temporaire. Cela empêche les jeunes Ukrainiens de voyager librement avec leur classe en dehors de l’UE. Sans parler des visites temporaires en Ukraine pour des questions administratives ou autres.
2. L’impossibilité d’obtenir un permis de conduire. De nombreux Ukrainiens vivent dans des villages où les transports publics ne sont pas très développés et où il est difficile de trouver un emploi sans permis de conduire.
3. L’impossibilité de recevoir des allocations pour les handicapés (souvent des enfants) qui bénéficient d’une protection temporaire.
4. L’impossibilité de changer les plaques d’immatriculation pour des plaques françaises et donc la difficulté d’assurer leur voiture auprès des compagnies nationales.
5. Les titulaires de la protection temporaire se demandent également si le temps qu’ils ont passé sous ce statut en France sera pris en compte lors de leur demande de titre de séjour, voire de naturalisation, si la guerre s’éternise et qu’ils décident de faire leur vie en France. Exemple : est-ce que trois ans passés sous protection temporaire entreront en ligne de compte pour les cinq ans nécessaire passés sur le territoire pour l’obtention d’une carte de résident par une personne non ressortissante d’un pays de l’UE ? Ou bien faudra-t-il attendre encore cinq ans à partir de la date de la demande (donc huit ans au total…)
Pourriez-vous nous exposer votre point de vue sur toutes ces questions et peut-être imaginer des changements qui pourraient avoir lieu à l’avenir sur chacun des cinq points évoqués plus haut ?
Les règles adoptées pour les bénéficiaires de la protection temporaire ont été mises en œuvre dans des délais particulièrement contraints pour faire face à l’urgence. C’était une bonne chose et nécessaire pour répondre aux besoins des familles qui sont arrivées à partir de février 2022. Avec la poursuite du conflit dans la durée et les perspectives de retour qui ne s’éclaircissent pas, nous sommes entrés dans une autre phase, qui pose la question du maintien dans la durée, en France, des personnes qui s’y sont installées. L’enjeu de la prorogation de la protection temporaire donc aujourd’hui devant nous. En attendant, certaines évolutions seront nécessaires pour faire face aux difficultés que vous évoquez, je pense en particulier au permis de conduire qui est en effet crucial dans certaines zones rurales pour trouver un emploi et vivre au quotidien.
Un autre point important est également le doute sur la fin de la protection temporaire, qui doit expirer l’année prochaine en 2025, après les trois années prévues pour son existence.
Exemples : les gens se précipitent pour changer de statut afin d’obtenir divers permis de séjour ou d’autres types de protection tels que la protection subsidiaire ou la demande de statut de réfugié …
Pouvez-vous nous dire ce qu’il se passera après l’expiration de la protection temporaire en 2025 ? Ou quelles sont les options actuellement envisagées par la France et par l’UE ?
Rien n’est acté pour le moment. Des discussions sont en cours à Bruxelles sur les modalités de prolongation de la protection temporaire pour prendre acte de la poursuite du conflit. Le choix sera fait dans les prochains mois en fonction de l’évolution de la guerre et afin de garantir la meilleure réponse possible pour les personnes déplacées d’Ukraine.
Pensez-vous, compte-tenu de toutes ces incertitudes, que les titulaires d’une protection temporaire devraient demander un changement de statut dès maintenant. Et si oui, lequel ?
Changer de statut n’est pas anodin et ne me semble pas être souhaitable aujourd’hui, au regard des conditions favorables ouvertes par la protection temporaire en matière d’accès au travail, aux droits sociaux ou de mobilité géographique et notamment de retour en Ukraine. Les bénéficiaires de la protection temporaire (BPT) peuvent néanmoins solliciter leur changement de statut dans les conditions de droit commun, excepté celles tenant à l’entrée sur le territoire national où elles sont assouplies.
Je veux toutefois redire que le nécessaire sera fait pour assurer une continuité de ces droits dans les prochaines années, quelle que soit l’évolution du conflit. Il est donc à mon avis urgent d’attendre avant de s’engager dans un changement de statut.
Comment des personnes qui ont quitté leur maison et tout abandonné (travail, appartement, école …) peuvent-elles ne pas se retrouver dans la même situation, après la fin de la guerre ?
Le plus important est que ces personnes soient accompagnées dans les pays d’accueil, comme la France, pour trouver leur place pendant le conflit et accéder à ce qu’elles ont perdu, à savoir un toit, un travail, l’école pour leurs enfants ou l’accès à un système de protection sociale. Cette continuité de vie à défaut d’une continuité géographique est une condition d’un retour à la normale le plus rapide possible une fois que la guerre sera terminée. C’est notre responsabilité, en tant que pays d’accueil, que de contribuer au mieux à cela. C’est pour cette raison que les pouvoirs publics et la société civile se sont mobilisés, en France comme ailleurs en Europe, pour contribuer à assurer cette continuité.
Il est fort probable que cet article soit lu par un Ukrainien sur deux en France. Qu’aimeriez-vous leur dire ?
J’aimerais leur dire que nous restons à leur côté. Nous savons combien perdre son foyer est difficile et combien il est dur de voir les destructions de la guerre et ses drames. Nous comptons hélas plus de 210 millions de déplacés de force dans le monde aujourd’hui, à cause des conflits qui se sont fait jour. La France reste une terre d’accueil pour les personnes réfugiées. Le travail d’accueil et d’intégration que le pays a mené depuis février 2022 se poursuivra aussi longtemps que le conflit durera, même si nous espérons que l’Ukraine gagnera la guerre au plus vite et que les personnes bénéficiaires de la protection temporaire pourront retrouver une vie la plus normale possible.
Christophe Carmarans pour France Ukraine News
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