Les bonnes manières à table sont un élément incontournable du savoir-vivre français alors qu’avant le XVIIIe siècle, on mangeait généralement avec ses doigts. C’est sous le règne de Louis XIII, puis à la Cour de Louis XIV que les règles du savoir-vivre, telles que nous les pratiquons aujourd’hui, se sont imposées. Qu’évoquent les bonnes manières en 2024 ?
Le savoir-vivre à la Française serait apparu au moment où s’enclenchait le processus de civilisation des mœurs, aux XVIe et XVIIᵉ siècle. C’est le constat de Robert Muchembled qui a publié en 1998 le livre « La société policée, politique et politesse en France du XVIᵉ au XXᵉ siècle ». Les règles sont apparues au XVIIe siècle, sous le règne du roi Louis XIII, mais dès 1530, le philosophe Erasme proposait déjà un court traité de savoir-vivre à l’usage des enfants. Entre autres conseils, on trouve dans l’ouvrage ceci: « Se lécher le bord des lèvres en allongeant la langue est tout à fait inepte », ou: « Si tu as envie de vomir en public, éloigne-toi un peu » ou bien encore « Ne te mouche pas avec ton bonnet ou ta chemise, ni sur le bras ou le coude. Il n’est pas beaucoup plus propre de se moucher dans sa main pour l’essuyer ensuite sur ses vêtements. Si tu te mouches avec deux doigts et qu’il tombe de la morve par terre, il faut poser le pied dessus. » Ce manuel a servi de modèle d’éducation pour les enfants des écoles françaises jusqu’au siècle dernier.
À quoi servent les bonnes manières ?
Plus près de nous, en 1979, Pierre Bourdieu écrivait « La Distinction, Critique sociale du jugement ». Pour le célèbre sociologue, l’art du savoir-vivre n’est pas qu’une série de règles à suivre inscrites dans un manuel. Il montre que ces pratiques révèlent des systèmes de représentations, propres à des groupes sociaux, de leur position relative et de leur volonté de se situer dans une échelle de pouvoir. Pour lui, avoir du style, c’est suivre la mode (ou les règles) tout en s’en détachant par quelques touches personnelles…
Mais à quoi correspondent-elles encore ces règles qui nous paraissent parfois désuètes, voire même ringardes? D’après l’historienne Jacqueline Queneau qui vient de publier le guide de savoir-vivre « Comment recevoir à la française ? » (Editions La Martinière), leur fonction première est qu’on puisse se trouver à l’aise partout et en toute circonstance. « Quand ils sont chez eux, les gens font ce qu’ils veulent, mais il faut que cela devienne des gestes complètement intégrés et connus pour le jour où vous êtes reçus par le chef de service, par le général, par le PDG. Qu’ils sachent tenir la fourchette, le couteau sans déroger aux usages. ». Ces usages sont donc pour elle une question d’adaptabilité sociale plus que de véritable distinction.
En France, lorsqu’on dresse la table, la fourchette est posée les dents contre la nappe (comme dans le tableau), tandis qu’en Angleterre, c’est l’inverse. Pourquoi ? L’une des raisons en est que de nombreux services anciens en argenterie continuent à être utilisées et que rien ne justifie de dissimuler les armoiries d’origine, placées sur une face ou sur l’autre de l’objet. « Mais les choses évoluent. Le standard international est à la fourchette avec les dents en l’air. Tout comme vous ne remettez pas vos couverts sur la table quand vous avez terminé, mais dans l’assiette. » Une fois assis sur sa chaise, il convient de se tenir droit en laissant un léger espace derrière soi. Il suffit, ensuite, de déplier et déposer la serviette sur les genoux et ne surtout pas l’attacher à son col !
Enfin, en France le vin fait bien sûr l’objet d’un cérémonial étudié… « Normalement, c’est l’homme qui sert le vin par la droite de chaque convive. Il ne dit rien, sauf qu’il tourne l’étiquette vers le convive, et discrètement à ceux qu’il sait qu’ils sont amateurs de vin, il glisse à l’oreille : Là, je te sers un Aloxe-Corton. Ensuite, lorsque tout le monde déguste, et s’extasie, le maître de maison annonce la nature du vin. » Et là encore, murmurer – de façon à ce qu’on l’entende clairement- qu’il sert (avec la plus grande délicatesse) un Aloxe-Corton, grand vin de Bourgogne, est fait pour indiquer sa position dans la société…
Didier ROUGEYRON pour France Ukraine News
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Image: Paul Chabas, Le coin de table, 1904. Tourcoing, Musée des Beaux-Arts
Sources: radiofrance.fr, academiedugout.fr